Nous sommes tous des moutons

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L'accumulation de savoirs inutiles

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Si vous aviez à passer un examen de niveau secondaire 3, 4 ou 5 sans rapport avec votre domaine professionnel, quelle serait votre note ? Probablement que vous échoueriez. Vous avez tout oublié parce que vous ne vous êtes à peu près jamais servis de ces connaissances depuis le temps de vos études. Dans ce cas, pourquoi vous a-t-on obligés à les apprendre ? Force est de répondre franchement : « pour rien ».

 

par Ivanhoé

mis en ligne le 4 août 2019

 

NB) Cet article ne fait spécifiquement référence qu’à l’enseignement de niveau secondaire, 2e cycle : c’est-à-dire les secondaires 3, 4 et 5.

 

Lorsque ma fille était au 2e cycle du secondaire (3, 4 et 5), il m’arrivait quelquefois de me demander ce que j’avais moi-même retenu de toutes ces matières que l’on m’avait enseignées durant cette même période trouble de mon existence personnelle (je dis « trouble » parce que le secondaire se déroule pendant la période trouble de l’adolescence ; mais ceci est une autre histoire qui ne sera pas abordée dans cet article !).

 

* Pour les lecteurs français, voir l’encadré rouge dans le tableau ci-dessous pour connaître l’équivalent, chez vous, de notre secondaire à nous, ici, au Québec :

 

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Je l’observais en train de se casser la tête avec son algèbre, ses cosinus, sa biologie, sa physique, sa chimie, sa géographie… et je me demandais : « Qu’ai-je moi-même retenu de tout cela depuis le temps ? » La réponse était évidente et triste : pas grand-chose.

 

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Lorsque je jetais un coup d’œil dans ses livres, je n’irais pas jusqu’à dire que c’était du chinois. Je ne dis pas non plus que c’était trop pour ma petite tête, car il n’aurait fallu que je me remette moi-même au boulot, comme ma fille, pour me réapproprier tous ces concepts. Mais une chose me semblait néanmoins et tout à coup évidente : si j’avais perdu le souvenir de toutes ces notions depuis ma période scolaire, cela signifiait que je ne les avais jamais utilisées. Alors, dans ce cas, pourquoi avais-je étudié tout cela à l’époque de mes 15 ans ? Pourquoi avais-je dépensé tant d’énergie à absorber tout ce savoir si ça avait été pour passer à autre chose tout de suite après les examens, et à les oublier ?

 

Sur le coup, j’avais trouvé – mécaniquement – des raisons plausibles. En fait, c’étaient celles qu’on nous sert tout le temps pour justifier cette situation et qui sont ancrées dans nos esprits à coups de lavage de cerveau depuis notre jeunesse. De cette façon, même si on ne retient à peu près rien de toutes les connaissances qu’on accumule à l’école secondaire, on a du moins appris à résoudre des problèmes, à penser, à réfléchir, à s’intéresser à ce qui nous entoure, à nous initier à ce qui se déroule dans la « vraie vie », à bûcher fort – et l’effort étant justement ce qui nous attend sur-le-marché-du-travail –, et blablabla.

 

Et j’avais alors mis un terme assez rapidement à ce questionnement un peu idiot. Ben quoi ? J’en étais venu à la conclusion que si le système éducatif fonctionnait de cette manière depuis des décennies, c’était nécessairement parce qu’il avait fait ses preuves. Et puis, de toute façon, il avait été conçu par des professionnels, non ? Dans ce cas, qui étais-je, moi, pauvre et insignifiant mécréant, à oser me poser ce genre de questions subversives ?

 

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C’était comme ça, un point c’est tout.

 

Et fin de l’histoire pendant quelque deux décennies.

 

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* * * * *

 

Ce n’est que récemment que cette question est revenue me « hanter ». Depuis en fait que j’essaie de reconsidérer franchement et lucidement tous les paradigmes dans lesquels nous vivons et que nous tenons pour acquis.

 

Dans cette optique, s’il en est un autre – paradigme – qui aurait intérêt à être revu par toute la collectivité humaine, je crois bien que c’est celui-là – celui de l’enseignement. Car force est d’admettre, lorsqu’on le regarde bien en face et avec franchise, force est d’admettre, oui, qu’il est un lamentable échec de société. Et ce n’est pas moi qui le dis. Un  rapport de l’Institut du Québec sur le décrochage scolaire au Québec (niveau secondaire) rédigé en 2018 le mentionne noir sur blanc : « [L’école publique québécoise] peine à donner à nos enfants – et à tous les citoyens qui le souhaitent – la formation et l’ambition nécessaires pour affronter le XXIe siècle avec confiance et polyvalence. Sa résistance au changement et à l’innovation pourrait compromettre sa capacité à motiver les élèves et à leur donner le goût d’apprendre. »

 

Le même rapport nous apprend que le taux de décrochage scolaire au niveau secondaire dans les écoles publiques, était de 36 % au Québec en 2015 (environ 31 % si on inclut les écoles privées). Comparativement au reste du Canada, nous arrivons bons derniers. Eh oui : dans notre belle province, un élève sur trois abandonne ses études avant l’obtention du secondaire 5 (1 sur 4 en moyenne, au Canada).

 

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Mais beaucoup font un retour aux études par la suite, lorsqu’ils sont adultes. Ils le font par la force des choses, évidemment, se rendant bien compte qu’ils ne peuvent pas s’intégrer décemment dans notre système capitaliste sans passer par le cheminement habituel et obligé : 1) formation ; 2) emploi. Ils retournent donc à la case départ sans réclamer 200 $.

 

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La situation est moins problématique ailleurs dans les pays occidentaux, apparemment, mais le décrochage scolaire demeure néanmoins sans cesse un enjeu de taille pour tous. Et il pourrait l’être encore plus si ce n’était de la collaboration dont fait preuve la société entière envers ce système, et surtout de celle des jeunes eux-mêmes qui s’y soumettent majoritairement sans rouspéter – même si la plupart s’y ennuie à mourir.

 

* * * * *

 

Retour d’une cinquantaine d’années en arrière… Comment cela fonctionnait-il lorsque j’étais en secondaires 3, 4 et 5 ?

 

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Apparemment de façon assez semblable à aujourd’hui.

 

J’avais alors 15,16 et 17 ans (le primaire comptait 7 années à cette époque). J’avais déjà appris à lire, à écrire et à calculer. J’avais aussi acquis une connaissance de base et assez générale sur la manière dont le monde était structuré autour de moi. Jusque là, ça allait. Mais à partir du secondaire 3, c’était rendu du sérieux. Je préparais désormais mon avenir. J’organisais mon entrée sur-le-marché-du-travail. Ce n’était plus de la rigolade. Je plongeais dans l’univers des adultes. Et l’univers des adultes, c’était la survie : j’avais déjà conscience qu’il fallait bosser pour manger, pour avoir un toit sur la tête et pour se payer toutes sortes de belles bebelles, comme une auto, une maison, une piscine, et passer ses vacances à Old Orchard.

 

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En secondaires 3, 4 et 5, l’école ne manquait pas de nous le rappeler. Ainsi que nos parents. Et en plus d’en avoir la preuve par tout ce qui nous entourait. Et moi, je croyais à tout cela sans me poser aucune question. J’étais dans le bateau et je ramais au milieu de tout le monde vers l’avant.

 

Cela signifiait que j’allais à la Folivalente tous les jours. J’écoutais les professeurs qui me disaient comment calculer des cosinus et des sinus, qui me faisaient apprendre des dates historiques par cœur, ainsi que des noms de lieux sur la Terre, et qui me forçaient à lire des romans plates – souvent d’un âge révolu, et écrits pour des adultes. Bref, pour un jeune ado, comme on peut s'en douter, c’était le pied.

 

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Heureusement, j’étais « pas trop pire » à l’école. J’apprenais assez facilement.

 

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J’étais même en mesure de me lever tôt le matin d’un contrôle, de me bourrer le crâne à l’excès, de tout retenir jusqu’au moment du test, sur lequel je recrachais d’un jet tout ce que je venais d’accumuler dans ma tête… puis d’en oublier plus de 90 % les jours suivants.

 

L’important, c’était les examens, donc, ainsi que la note de passage, bien sûr (qui était de 60 %, à l’époque, je crois). À 59 %, je n’aurais pas été apte à me diriger vers-le-marché-du-travail. À 60 %, oui. Je m’arrangeais donc pour avoir au moins 60 %

 

Et je m’intégrais dans ce système parce que cela ne me demandait pas trop d’efforts et parce que c’était « normal », parce que c’était « comme ça que ça marchait ». Point barre. J’avais même choisi d’étudier les maths fortes, la physique et la chimie – qui étaient optionnelles –, non pas parce que j’avais un intérêt pour ces domaines (je n’en avais aucun à l’époque), mais plutôt pour m’ouvrir « le plus grand nombre de portes possibles » pour le cégep et l’université dont j’avais une vague idée de ce que j’allais y faire éventuellement (à ce propos, qui a une perception claire de la profession qu’il veut exercer pour le reste de sa vie à 15-16-17 ans ? C’est un coup de dé).

 

Bref, je perdais mon temps, disons-le comme ça. Je le perdais puisque je ne faisais que me bourrer le crâne pour obtenir une note spécifique dans les différentes matières que l’on m’imposait avant de passer ensuite à la prochaine étape, et ainsi de suite.

 

Ce qui, avouons-le franchement, n’avait absolument aucun sens. Et encore une fois, ce n’est pas moi qui l’affirme. Charles E. Caouette, un prof québécois émérite a consacré toute sa carrière – sans aucun succès, d’ailleurs – à tenter de modifier ce système d’enseignement obsolète.

 

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Dans un de ses livres – Éduquer pour la vie ! –, il mentionne : « Nous savons qu’il ne reste à peu près rien des contenus que nous enseignons. Qui parmi vous passerait aujourd’hui les examens du secondaire (cosinus, logarithmes, angles de réfraction, formules chimiques, verbes irréguliers du troisième groupe) ? Très peu ! Je le sais en questionnant mes étudiants universitaires qui, pourtant, ont tous obtenu de fortes notes au secondaire et au cégep. Les contenus ne servent qu’à préparer les examens, dont on se sert mécaniquement pour évaluer les performances des jeunes et la productivité des enseignants. »

 

En fait, l’école de niveau secondaire ne prépare aucunement les ados à développer leur potentiel créatif, à trouver un sens qui orienterait leur vie future et à se prendre en main pour tenter de réaliser leurs rêves. Elle ne fait que de l’occupationnel tout en filtrant les plus aptes qui entretiendront éventuellement notre société de productivité et de consommation. Les autres – les « cancres » – (ils sont 1 sur 3, ici au Québec, je le rappelle) décrochent, car ils ne se sentent aucunement concernés par cet enclos de moutons dans lequel on leur demande de s’enfermer.

 

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Du coup, personnellement, je me dis ceci : j’espère presque que ce fameux taux de décrochage augmentera encore d’année en année. Lorsqu’il sera si faramineux qu’il ressemblera à une révolution, peut-être qu’à ce moment-là, les bonzes du ministère de l’Éducation et des commissions scolaires comprendront-ils qu’ils devront descendre sur le plancher des vaches et tenteront-ils alors une vraie réforme de l’enseignement plutôt que de réécrire pour la millième fois leurs sempiternels programmes sans jamais aborder le problème de fond.

 

Et peut-être aussi – on peut toujours rêver, non ? – que le ministère de l’Éducation lui-même s’écroulera sous sa propre inertie afin de laisser la place à la reconstruction d'un réel nouveau monde de l'enseignement.

 

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NB) Et de grâce, que l’on ne me serve pas ici l'éternel discours, à savoir que l’école secondaire, à travers cette accumulation de savoirs inutiles, apprend du moins à résoudre des problèmes, à penser, à réfléchir, à s’intéresser à ce qui nous entoure, à nous initier à ce qui se déroule dans la « vraie vie », à bûcher fort – et l’effort étant justement ce qui nous attend sur-le-marché-du-travail –, et blablabla.

 

Il existe un millier d’autres façons d’acquérir ces habiletés.

 

 

 

Courte vidéo « coup de poing » de 28 secondes démontrant une bonne fois pour toutes que l’école, ça ne sert strictement à rien – et vlan !

 

 



04/08/2019
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