Nous sommes tous des moutons

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Former de bons citoyens de base

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Le système éducatif s’est octroyé plusieurs rôles sociaux au cours des décennies. Force est aujourd’hui d’admettre qu’il ne s’est montré à la hauteur d’aucun d’entre eux. Aucun, sauf un : celui d’intégrer le plus grand nombre possible de moutons dans l’univers productif qui est le nôtre depuis des lustres. En cela, oui, c’est une (presque) réussite.

 

par Ivanhoé

mis en ligne le 7 août 2019

 

Les écoles se sont accaparé plusieurs rôles au cours des années, soit de façon volontaire, soit parce qu’on les leur a imposés de force. Malheureusement, elles n’ont réussi à rendre aucun d’entre eux, sauf celui pour lequel elles avaient été créées à la base.

 

Topo général…

 

1) Le système éducatif en tant que dispensateur du savoir pertinent : échec

 

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Pour cette partie-ci, je serai nuancé. Alors, calmons-nous…

 

L’enseignement de niveau primaire réussit indubitablement quant à lui à améliorer le sort du monde à travers la planète. Je fais ici référence au fait d’apprendre aux enfants – et aux adultes – à lire, à écrire et à compter. Dans tous les pays où l’école est obligatoire, elle a au moins servi à cela, oui : à sortir un tant soit peu la population de l’illettrisme – et donc de l’obscurantisme. Ce qui est évidemment une excellente chose.

 

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Quant à certaines nations en voie de développement, elles sont conscientes que l’éducation de base est une priorité et elles font généralement leur possible pour parvenir à ce but avec les moyens du bord : en construisant – elles-mêmes ou via des ONG – des écoles de fortune grâce à l’aide internationale – quand celle-ci n’est pas détournée à d’autres fins.

 

Cela dit, il n’en demeure pas moins que même dans les pays occidentaux, le taux d’analphabétisme est faramineux. Un rapport de l’OCDE publié en 2013 a révélé que près de la moitié de la population du Québec, par exemple, est « analphabète fonctionnelle », c’est-à-dire ayant d’énormes difficultés de compréhension de lecture, mais pouvant néanmoins se débrouiller – tant bien que mal – en société.

 

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Plutôt que d’utiliser le mot « analphabétisme » qui est un concept passablement flou et élastique, l’OCDE – et un peu tout le monde – a maintenant recours au terme « littératie » qui est « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ».

 

Je n’entrerai pas ici dans les détails. Pour ceux qui s’intéressent à cette question, la docu est abondante sur le Web ; tapez simplement le mot-clé. Juste dire que ce concept de littératie comporte 6 niveaux, allant de « inférieur à 1 » jusqu’à 5, et que le niveau 3 est le seuil minimum considéré comme étant nécessaire pour fonctionner adéquatement dans notre actuelle société.

 

Or, 53 % de la population du Québec se retrouve sous ce fameux niveau 3 (chiffres de 2012). Malgré ce pourcentage indécent – indécent pour une province faisant partie d’un pays « industrialisé » –, nous nous situons quand même (relativement) dans la moyenne des ours : le Québec arrive certes à la traine par rapport au reste des provinces, mais le Canada lui-même se classe 10e sur 22 pays industrialisés. Le phénomène est donc passablement généralisé.

 

Il est évident que le système éducatif n’est pas le seul responsable de cette dramatique situation. Le milieu familial dans lequel évoluent les jeunes joue également un rôle majeur. Il n’en demeure pas moins que le système éducatif se montre littéralement inapte à gérer cette crise. J’ai longuement parlé, dans un autre article (L’accumulation de savoirs inutiles), de décrochage scolaire et d’incapacité des programmes éducatifs à créer des contenus d’enseignement qui ont du sens pour les étudiants eux-mêmes, et à les empêcher de tirer leur révérence avant l’âge prescrit dans la loi.

 

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En regard de toutes ces données et de son rôle de dispensateur du savoir, peut-on alors réellement parler d’une réussite du réseau de l’enseignement ?

 

2) Le système éducatif en tant que moteur de progrès social : échec

 

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Lorsque j’étais au primaire et au secondaire – ça fait un bail, je sais –, et à part le directeur et quelques secrétaires, le personnel des écoles se résumait à des professeurs, un concierge, une infirmière (à temps partiel), un appariteur et un conseiller en orientation (au secondaire uniquement).

 

Maintenant ? Si je ne m’abuse, en plus de ceux que je viens d’énumérer, les professeurs sont secondés – dépendamment des commissions scolaires – d’une flopée de personnel de soutien pour s’occuper des élèves « problématiques » : des psychologues, des travailleurs sociaux, des orthopédagogues, des éducateurs spécialisés, des conseillers en soutien scolaire, des enseignants en adaptation scolaire, des orthophonistes, des conseillers pédagogiques…

 

Ce ne sont pas directement les écoles qui se sont octroyé le mandat de jouer les travailleurs sociaux et de tenter de faire entrer coûte que coûte tous les élèves « à problèmes » dans le moule traditionnel du savoir. Elles ont dû tant bien que mal s’y résigner, car dans la plupart des pays industrialisés, elles sont soumises à leur ministère de l’Éducation respectif.

 

Et qui dit ministère dit politique. Et quand la politique se mêle de régler un problème de société, on est assuré qu’elle mettra en place un ensemble hétéroclite de principes de gestion allant de la bureaucratie kafkaïenne jusqu’à l’enchainement de programmes disparates au gré de ministres voulant plaire à leurs électorats. Bref, la pagaille certifiée. Avec, au finish, des écoles souvent sous-financées, des directions d’école dépassées et des professeurs qui ne savent plus où donner de la tête, et qui tombent malades et qui démissionnent.

 

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Il faut prendre connaissance des données sur le décrochage scolaire et des tentatives d’explications qui les accompagnent pour constater que les écoles n’ont réussi à régler aucun problème social de leur pays. Tout juste si elles arrivent quelquefois à éteindre de petits foyers d’incendie ici et là. Et encore, lorsque cela survient, c’est grâce à certains professeurs charismatiques qui parviennent, eux, à passionner quelques-uns de leurs élèves (voir Filmographie sur le thème des enseignants marginaux).

 

Mais cela demeure exceptionnel et du cas par cas.

 

3) Le système éducatif en tant que motivateur pour que les jeunes réalisent leurs rêves : échec

 

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« L’école doit être un ascenseur social ! » avait un jour déclamé l’actuel ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, du temps qu’il était simple député de l’opposition. « Une façon de se sortir de sa pauvreté ! »

 

Oui, oui, bien sûr, monsieur Roberge. Mais disons qu’elle devrait être minimalement cela, d’accord ? Comme si les jeunes pauvres n’aspiraient qu’à sortir de leur pauvreté… Pff… N’ont-ils pas eux aussi des rêves un peu plus grandioses que celui-là ? Comme ceux des enfants des classes moyennes et des riches ?

 

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De toute façon, qu’ils aient ce genre de rêves ou non, et que tous les jeunes aient des idées de grandeur par rapport à leur épanouissement personnel et à la réalisation de leurs désirs profonds, ils ne tardent pas à revenir sur le bon vieux plancher des vaches lorsqu’ils se retrouvent à l’école de niveau secondaire et plus. Car même si l’école se targue d’être le lieu où la matérialisation de toutes les passions est éventuellement possible – du moins, le lieu où tout est encore possible –, elle est plutôt l’endroit où la majorité des illusions se dégonflent comme des ballons de baudruche.

 

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En fait, si l’école correspond vraiment à ce lieu magique pour certains jeunes, cela est principalement dû à une ou l’autre des raisons suivantes – ou les deux :

 

1) à un prof charismatique qui a su trouver la façon de les inspirer ; dans ce cas, ce n’est pas grâce au système, mais plutôt grâce à la compétence et à la passion d’une personne particulière ;

 

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2) aux rêves mêmes de ces jeunes, s’ils correspondent à entreprendre une carrière dans une profession qui est déjà une passion pour eux et qui, par chance, offre en plus de bons débouchés sur-le-marché-du-travail ; c’est-à-dire dans le système capitaliste et de consommation dans lequel ils sont prêts de facto à s’intégrer sans rouspéter.

 

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Ce qui m’amène au dernier rôle que le système éducatif s’attribue :

 

4) Le système éducatif en tant que facteur d’intégration des moutons dans la société : réussite presque totale

 

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L’école « pour tous » est née en même temps que l’industrialisation. Ce n’est pas un hasard. En fait, l’école, à la base, avait été créée pour former les jeunes de façon à ce que ceux-ci puissent servir de main-d’œuvre dans les usines. On s’entend qu’à cette époque, il n’existait pas beaucoup de métiers spécialisés. L’école fabriquait donc des sortes de robots pour occuper des tâches répétitives à longueur de journée sans rouspéter.

 

Les choses ont bien sûr évolué depuis deux cents ans. Mais pas tant que ça.

 

Les systèmes éducatif et capitaliste fonctionnent encore aujourd’hui main dans la main. Les dirigeants ont besoin d’une main-d’œuvre formée et docile, et l’État (via sa politique d’enseignement) leur en fournit : non seulement en formant très tôt les jeunes dans des métiers et professions spécifiques, mais en plus – et très tôt également – en leur lavant discrètement le cerveau pour qu’ils soient de gentils moutons disciplinés et obéissants – et désireux, eux aussi, de profiter un peu des largesses ($) du système.

 

Je cite ici longuement Anne Archet (Contre-feux et autres textes) qui explique sommairement cet aspect du système éducatif beaucoup mieux que je ne saurais le faire moi-même :

 

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[Les écoles sont] des lieux où on apprend le conformisme et l’obéissance. Et la cour d’école et le gymnase participent autant que la classe à ce processus, particulièrement pour les garçons qui y apprennent l’esprit grégaire et la soumission au chef de meute.

 

Née avec l’industrialisation, l’école moderne fonctionne comme une usine. Elle a évidemment comme but de donner aux individus les habiletés élémentaires en lecture et en calcul pour qu’ils puissent comprendre ce qu’on attend d’eux dans le contexte du travail et mettre en application les procédures de production. Mais encore plus important, elle instille dans l’esprit des jeunes la discipline qui est nécessaire au travail : comment adapter son cycle de sommeil et l’heure de réveil pour se plier aux exigences du boulot, comment arriver à l’heure, apprendre à contrôler ses sphincters pour aller aux toilettes uniquement aux moments prévus à cet effet, bref, savoir être un esclave à temps partiel capable d’autodiscipline. Enfin, l’école a pour mission d’inculquer le respect de l’autorité et pousse l’élève à adopter un comportement hiérarchique de respect envers ses supérieurs et de condescendance méprisante envers les subalternes.

 

Voilà l’essence même de l’école : transformer l’individu en « élément utile à la société ». Le jeune y apprend à être un bon citoyen, c’est-à-dire à aller voter, à payer ses impôts, à aimer sa patrie et à respecter la loi. L’école produit des êtres passifs et obéissants : des consommateurs, des spectateurs, des contribuables.

 

Lorsque les ‘tits moutons sortent du système éducatif (2 sur 3), ils sont formatés pour être des citoyens dociles, oui.

 

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Ils ont appris :

 

- à exister jour après jour en fonction du métro-boulot-dodo, et à l’accepter ;

 

- à ne faire aucune vague : à se marier, à s’acheter maison-auto-piscine, à payer leurs impôts rubis sur l’ongle (de toute façon, c’est obligatoire), et à s’amuser pendant leurs quelques temps libres ;

 

- à se sentir privilégiés de vivre dans une nation démocratique en pouvant prendre part eux-mêmes aux décisions de leur pays (en votant une fois tous les 4 ou 5 ans) – ils ont d’ailleurs appris à le faire dès l’école primaire en élisant (inutilement) des « représentants de classes » ;

 

- à être convaincus que leur bonheur va de pair avec leur prospérité financière ;

 

- à tenir pour acquis que leur niveau de consommation est l’indice de leur valeur personnelle auprès de leur entourage ;

 

- à être certain qu’ils ont tous les mêmes chances de s’enrichir s’ils le désirent – qu’il n’en tient qu’à eux pour que cela se concrétise ;

 

- à se plier à toutes les lois et à tous les règlements qui les régentent, et en acceptant que c’est « pour leur propre bien » ;

 

- à obéir à des patrons – ou à être soi-même obéi par des subalternes ;

 

- à considérer comme naturel de vivre dans une société hiérarchisée de classes sociales et d’élites qui gouvernent la masse qui, elle, exécute ;

 

- à mépriser et à tenter d’exclure ceux qui ne se conforment pas aux règles de ce système : les moutons noirs, les pauvres, les paresseux, les parasites, les râleurs, etc. ;

 

- bref, à être effectivement le parfait citoyen-mouton type.

 

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Si le système éducatif est une (presque) réussite, c’est uniquement par rapport à ce dernier rôle qu’il s’est attribué. Pour le reste, est-ce qu’on s’entend pour dire qu’il est complètement nul ?

 

Et ce rôle n’est d’ailleurs pas près de changer de si tôt. Toutes les réformes du système éducatif n’ont pour but que de le renforcer : n’ont-elles pas toutes comme objectif de réintégrer le plus de décrocheurs possibles afin qu’ils rentrent sagement dans le système ?

 

Et il est appuyé en cela par à peu près 100 % des parents d’enfants dociles (2 étudiants sur 3) qui rêvent tous que leurs progénitures « gagnent bien leur vie » dans une profession honorable. À noter que lorsque les étudiants entrent en secondaire 3, leurs parents, eux, sont autour de la quarantaine, et donc pas mal tous bien intégrés eux-mêmes dans notre bon vieux système capitaliste de consommation, et ce, peu importe s’ils ont été eux-mêmes des décrocheurs ou des moutons atypiques durant leur jeunesse.

 

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Et un autre indice qui semble « prouver » que ce système aura toujours le dernier mot, c’est le fait que les décrocheurs finissent en grande partie par « raccrocher » un moment donné ou à un autre en retournant aux études lorsqu'ils sont adultes et en les terminant. « Cela indique la capacité du système scolaire québécois à raccrocher les étudiants décrocheurs », se félicite d'ailleurs chaudement le rapport de l’Institut du Québec de 2018 sur le décrochage scolaire au Québec.

 

 

Vidéo très bien réalisée qui se veut un plaidoyer en faveur de la reconstruction complète du système éducatif actuel sur des bases tout à fait nouvelles. Et pourquoi.

 

 



07/08/2019
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