Nous sommes tous des moutons

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Dans certains pays, les moutons sont de vrais moutons, et ils ont grand intérêt à le demeurer sous peine de se faire égorger séance tenante. Petites simulations pour vérifier comment un mouton venant d’une nation démocratique se comporterait éventuellement s’il se retrouvait tout à coup dans de tels contextes.

par Ivanhoé

mis en ligne le 20 juillet 2019

On retrouve des troupeaux de moutons partout dans le monde. Dans certains pays, ils sont traités avec une relative bienveillance par leurs bergers qui les exploitent, certes, mais sans trop les molester.

Dans d’autres contrées, par contre, les pauvres bêtes ont plutôt intérêt à filer encore plus doux que leur propre nature les incite à le faire spontanément. Sinon, c’est la bastonnade et les morsures de chiens enragés qui les attendent dans le détour ; si ce n’est la mort pure et simple. Dans ces endroits-là, ils ne peuvent espérer aucune pitié de leurs maitres. Osent-ils bêler un peu plus fort que d’habitude ? Ils sont aussitôt châtiés. Point barre.

Ainsi en est-il également des troupeaux de moutons-humains. Et les motifs pour lesquels ceux-ci se laissent eux aussi manger la laine sur le dos par leurs bergers dépendent de la chance ou de la malchance pour eux de se trouver dans les régions où ils broutent.

Il existe évidemment une énorme différence entre les moutons-humains qui vivent dans des états sous dictatures et les autres qui habitent dans des pays dits « démocratiques ».

Ce blog-ci insiste bien sûr surtout sur les moutons des pays occidentaux. La raison est fort simple. C’est à l’intérieur de la sécurité d’un tel pays que je suis né et que j’ai toujours vécu. Je n’ai en effet jamais connu aucune dictature, ni aucune guerre. En ce sens, j’ai été choyé par la vie, oui. Et c’est d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle j’ai été un mouton si docile et relativement satisfait de mon sort pendant toute mon existence.

Je ne peux donc pas parler de ce que je ne connais pas. Dans cette optique, il est même irrespectueux de ma part de qualifier de « moutons » les citoyens qui vivent dans ces nations dirigées par des despotes fous furieux.

L’objet de cet article n’a d’ailleurs pas pour but d’expliquer les raisons profondes de l’attitude de résignation qui règne dans ces pays où existe souvent une pauvreté endémique, où le moindre signe de rébellion est sévèrement puni, et où la démocratie ne représente qu’un lamentable leurre pour sauver les apparences. Cela est une affaire de spécialistes, et je n’ai moi-même ni le savoir ni les compétences pour me livrer à une telle analyse.

Par contre, je possède une très vaste expérience du comportement « mouton de base » en général.

Et en tenant compte de mon passé, je peux très bien extrapoler et imaginer comment je me serais personnellement et probablement comporté si j’avais vécu différentes situations extrêmes comme il s’en trouve encore aujourd’hui à quelques endroits sur la planète.

Pour ce faire, je n’ai qu’à demeurer le plus objectif possible et laisser mon ego de côté ; un exercice difficile à réaliser publiquement, mais quand même envisageable en faisant preuve d’un peu de bonne foi et d’une grande humilité.

Et ce faisant, et comme j’ai toujours été un citoyen très lambda, peut-être que mes petites mises en scène imaginaires se rapprocheront néanmoins un peu de la réalité de ce qui se déroule à l’extérieur de nos frontières.

1^ère situation (voyage vers le passé) : l’Occupation allemande en France

On a beaucoup parlé de l’attitude du peuple français lors de l’occupation allemande pendant la 2^e Guerre mondiale. Selon ce que j’en ai lu, il semble en effet que les Français se soient plutôt bien arrangés avec la présence de leurs ennemis sur leur territoire pendant les quatre années que cette situation a duré.

Il y a eu des cas extrêmes, bien sûr, c’est-à-dire des gens qui combattaient secrètement dans la Résistance et d’autres qui collaboraient ouvertement avec les occupants. Mais dans l’ensemble, la vaste majorité de cette population a continué à vivre au jour le jour sans se rebeller, sans faire de vagues, et sans causer de soucis aux autorités.

Vue comme ça, de loin – dans l’espace et dans le temps –, une telle attitude de mouton basique n’est pas sans susciter une certaine consternation et entrainer un impitoyable jugement de la part de ceux qui n’étaient pas là à cette époque.

Mais qu’aurais-je fait, moi – lorsque j’étais plus jeune et que j’avais la charge d’une famille –, si j’avais été un Français ayant vécu dans ces années-là ? Comment aurais-je réagi face à ces insolents et brutaux conquérants ? Me serais-je publiquement insurgé ? Ou l’aurais-je fait clandestinement, en entrant dans la Résistance ? Ou aurais-je au moins aidé cette même Résistance à l’occasion ? J’aime à penser que j’aurais adopté l’une ou l’autre de ces options honorables.

J’espère minimalement que je n’aurais pas été un collaborateur ! Ni ouvertement, ni secrètement, ni même occasionnellement sous l’effet de menaces…

En fait, pour parler franchement, en analysant rétrospectivement ma vie telle qu’elle s’est déroulée ici, dans mon contexte tranquille, et en la transposant dans cet hypothétique scénario, la réalité aurait possiblement été située quelque part au milieu de ces deux pôles d’attraction.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que je me serais sans doute tenu peinard dans mon coin, moi aussi, comme la masse, tentant de ne pas me faire remarquer par l’ennemi – ni d’ailleurs par les Résistants.

Et c’est évidemment la peur des représailles qui m’auraient incité à adopter ce comportement de mouton typique.

Trop de dramatiques conséquences m’auraient en effet empêché de m’engager dans des actions hasardeuses contre l’occupant : la hantise que la Gestapo débarque chez moi en plein milieu de la nuit et m’emmène de force dans leurs cachots ; le danger que ma famille paie le prix de ma témérité ; l’angoisse de perdre mon emploi et le peu de biens matériels que j’aurais possédés ; la terreur d’être torturé ; d’être déporté ; d’être fusillé, même, ultimement.

Bref, selon toutes probabilités, la trouille m’aurait cloué sur place et obligé à m’en tenir à une stricte neutralité et de ne rien entreprendre qui aurait risqué de me faire remarquer.

D’autre part, je n’aurais pas davantage collaboré avec l’ennemi ne serait-ce qu’à cause de la peur d’être pointé du doigt par mes propres compatriotes qui, s’ils sont demeurés peinards – toujours d’après ce que j’ai lu –, n’en affichaient pas moins un silencieux mépris envers l’envahisseur. J’aurais fait comme la majorité, ni plus ni moins.

Mais parlant de collaboration, et si je pousse le scénario un peu plus loin : comment aurais-je agi si la majorité de mes concitoyens avaient ouvertement collaboré avec les conquérants ? En dénonçant allègrement leurs voisins, par exemple ? L’aurais-je fait, moi aussi, en sachant qu’on m’aurait ostracisé si je n’avais pas embarqué dans le même bateau que tout le monde ?

2^e situation (retour vers le présent) : la Corée du Nord

Pour répondre à cette précédente et délicate question – aurais-je collaboré si tout le monde autour de moi l’avait fait ? –, il suffit que je m’imagine dans un autre contexte.

Supposons qu’en lieu et place d’être né ici, dans mon pacifique pays, supposons que j’aurais vu le jour en Corée du Nord, par exemple, un état despotique ou la culture de la dénonciation de son voisin fait office de loi et de remise de médailles.

Cela établi, tenons compte de cette dernière particularité (la dénonciation obligatoire). Ensuite, rajoutons dans la balance, comme à l’époque de l’Occupation allemande, les risques omniprésents d’arrestation, de torture et d’exécution sommaire. Et n’oublions pas, finalement, la propagande sauvage enfoncée dans la tête des citoyens à grand renfort de coups de masse médiatiques, sans accès à Internet, et vivant reclus dans un environnement physique très restreint.

Qu’obtiendrons-nous ?

Un mouton collaborateur du régime et dénonciateur de ses voisins, ça me parait évident.

◊ ◊ ◊ ◊ ◊

Ces deux courtes et rapides mises en situation ne sont qu’une illustration extrêmement superficielle des raisons pour lesquelles les gens, dans une très large proportion, ne font aucune vague lorsqu’ils sont soumis à une dictature brutale. Il ne s’agit en fait pour eux que d’une question de survie brute.

Élémentaire…

Lors de l’attaque d’un prédateur, le mouton le plus en sécurité est celui qui se trouve en plein centre du troupeau. Peu importe d’où provient l’agression, celle-ci risque peu de l’atteindre s’il demeure peinard à cet endroit stratégique.

Cette attitude n’est toutefois pas totalement exempte de danger. Lorsqu’un prédateur décide d’éliminer tout le troupeau, par exemple, peu importe alors où se trouve le mouton le plus discret, il risque de passer lui aussi à la moulinette comme tout le monde. L’extermination des Juifs durant la dernière grande guerre en est un funeste exemple.

Heureusement, les génocides ne guettent pas toutes les populations de la Terre. Il n’en demeure pas moins, oui, qu’une grande partie de celles-ci agit en mouton pour une banale question de survie – banale dans le sens de « fondamentale ».

Et qui leur jetterait le blâme ?

Ce qui est moins légitime, par contre – et un peu plus gênant –, c’est le comportement de nos propres moutons occidentaux dans leur routine pépère de tous les jours. Leur conduite est beaucoup plus discutable, car elle n’est plus du tout en lien avec la notion de « survie », mais plutôt avec celle « d’ego », de « confort matériel » et de « paresse mentale ».