Nous sommes tous des moutons

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Grosso modo, environ 85 % des moutons des pays dits occidentaux suivent à peu près le même cheminement de vie : celui-là même que la société de consommation les pousse à entreprendre dès qu’ils sont enfants. Cette pression est si puissante que même les rebelles et les marginaux finissent un jour par capituler et s’intégrer. Pour le plus grand bonheur des élites politiques et financières qui les manipulent et qui les tondent.

par Ivanhoé

mis en ligne le 26 août 2019

De qui est-il question dans ce blog ? De quel humain-mouton parlons-nous, au juste ?

De l’humain-mouton archétype…

Car il existe, n’en doutons pas. Et en quantité industrielle. Il englobe en fait la très grande majorité de la population – à quelques caractéristiques près, bien sûr. Je fais à tout le moins référence aux moutons des pays occidentaux (ceux de l’Amérique du Nord et de l’Europe, disons). Pour les autres moutons de la planète, je ne m’avance pas. Quoique… Quoique je suis très à l’aise de prétendre que la nouvelle bourgeoisie des nations émergentes en fait également partie.

Évidemment, comme dans tous systèmes qui se respectent, le modèle standard de l’archétype humain-mouton comporte un certain nombre de particularités qui ne concorde que plus ou moins avec chaque personne prise individuellement. Mais dans l’ensemble, ce modèle ne souffre que très peu d’exceptions. Je soutiens qu’il inclut assurément près de 85 % de la population.

Et comment j’en arrive à ce chiffre de 85 % ?

En me servant de la courbe normale.

* * * * *

La courbe normale est une ligne graphique représentant la distribution d’une population en fonction de certaines caractéristiques. On la retrouve au sein d’un très grand nombre de phénomènes naturels (science physique, sociale, médecine, agriculture, affaires…). Vous l’avez sans doute déjà rencontrée très souvent dans vos lectures. Elle forme une sorte de « cloche ».

Cette courbe en forme de cloche porte aussi le nom de « Laplace-Gauss », car ce sont ces deux savants qui, au cours du XIXe siècle, se sont rendu compte de ce phénomène et qui en ont établi une loi mathématique : la loi normale.

                                                        Carl Friedrich Gauss      Pierre-Simon de Laplace

Mon intention première était d’expliquer cette loi et cette courbe en détail, avec un tas de démonstrations savantes appuyées par un tas d’exemples, mais j’ai laissé tomber. Trop long, trop fastidieux, et ce serait toujours trop peu de toute façon. Trop peu, dans le sens que, peu importe jusqu’où j’irais dans l’exposé, cela n’empêcherait pas les vrais connaisseurs de m’envoyer des commentaires indignés en m’accusant d’être un pseudo mathématicien à la noix, un simplificateur à l’extrême et un théoricien de la petite semaine. Alors, tant qu’à en venir là de toute manière, je préfère rester, justement, dans la simplicité.

Cela dit, je dois néanmoins en dire quelques mots. Mais ce sera bref.

La loi normale stipule que pour n’importe quelle population homogène (hommes, femmes, jeunes, vieux…) et en fonction d’une caractéristique précise (taille, poids, orientation sexuelle, opinions politiques…), eh bien, après une enquête ou un sondage ou un recensement quelconque, tous les gens faisant partie de cette population se retrouvent finalement quelque part à l’intérieur de cette cloche selon des proportions qui ne souffrent que très peu d’exceptions :

- 68,26 % sont agglutinés autour de la moyenne (soit 34,13 % légèrement d’un côté et 34,13 % légèrement de l’autre) ;

- 27,18 % se démarquent significativement de la moyenne (soit 13,59 % vers une extrémité et 13,39 % vers l’autre) ;

- 4,30 % s’en démarquent franchement beaucoup (soit 2,15 % vers une extrémité et 2,15 % vers l’autre) ;

- 0,26 % n’ont que très peu de liens avec la moyenne (soit 0,13 % dans un extrême et 0,13 % dans l’autre extrême).

J’ai dit que cette cloche – cette courbe – était étrange. Et elle l’est effectivement. Elle l’est, car comme il a été mentionné, une pléthore de données trouvent leur place dans ce gabarit. Ça en est quasiment magique. Vous pouvez penser à peu près à n’importe quoi : les notes scolaires en fonction d’étudiants dans une école, par exemple, ou les revenus personnels en fonction des habitants d’une ville, ou la masse corporelle en fonction d’une population x… Si vous disposez d’un nombre significatif de données, vous constaterez qu’environ 68 % de celles-ci seront regroupés symétriquement autour de la moyenne, et que plus vous vous éloignerez de celle-ci – de la moyenne –, et plus les données se raréfieront.

Et vous constaterez également que les pourcentages qui divisent cette courbe seront toujours sensiblement les mêmes.

Cela dit, comment se fait-il qu’une ligne si parfaite (en fait, elle n’atteint jamais vraiment cette perfection, mais c’est le concept, lui, qui est parfait), comment se fait-il, oui, que cette ligne en forme de cloche se retrouve à peu près partout dans les différents phénomènes de la nature ? Et qu’elle met tant d’ordre dans le chaos ? On l’ignore. Mais on s’en ébahit tout le temps. Un savant du XIXe siècle, Francis Galton, s’est un jour exclamé à son sujet :

 « Je ne connais rien d’autre si propre à frapper l’imagination que cette merveilleuse forme d’ordre cosmique donnée par la [loi normale]… Elle règne avec sérénité et en toute abnégation au milieu de la confusion sauvage. »

La courbe normale a ceci de particulier qu’elle peut également distribuer des opinions, pour peu, évidemment, que celles-ci soient exprimées clairement par les gens à la suite de questions posées tout aussi clairement (exemple : « Sur une échelle de 1 à 10, comment évaluez-vous les performances de votre gouvernement actuel sur le plan du marché du travail ? »). Ce sondage démontrerait que les pour et les contre se retrouveraient infailliblement distribués selon la courbe normale.

Autre exemple (toujours sous forme de question) : « Les citoyens d’un pays « démocratique » sont-ils de droite ou de gauche ? » Il est fort à parier qu’après un sondage sérieux, la courbe normale révélerait que la grande majorité (environ 68 %) serait plus ou moins de centre ; qu’une plus faible proportion (environ 28 %) serait davantage de droite ou de gauche (à raison de 14 % de chaque côté) ; qu’environ 2 % seraient carrément d’extrême droite et qu’environ 2 % carrément d’extrême gauche ; et finalement qu’une minuscule proportion de très marginaux (respectivement 0,1 %) serait des fanatiques finis presque prêts à mourir pour leur cause, que celle-ci soit de gauche ou de droite (voir tableau ci-dessous) :

Évidemment, tout cela reste à prouver à l’aide d’un sondage d’opinion. À ceux qui désireraient procéder à une enquête auprès de la population de leur pays pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, je les encourage à s’y mettre (quoique cela a peut-être déjà été fait, tout bien considéré ; dans ce cas, je n’ai rien vu).

Pour le moment, cette courbe normale est tellement présente partout au sein de tous les phénomènes concrets et humains que je la tiens personnellement pour à peu près acquise. Et que je n’hésite pas à l’utiliser ici comme instrument de validation pour l’allégation que je m’apprête à formuler.

Pas très scientifique comme argumentation, je sais, mais tant pis. S'il s'avère que je n'ai pas raison, eh bien je n'aurai pas tout à fait tort non plus.

* * * * *

Je reviens à mon humain-mouton de base. Quel cheminement suit-il généralement dans la société à partir de sa naissance jusqu’à sa mort ? En fait, et à peu de chose près, il suit celui que j’ai moi-même suivi – du moins jusqu’à tout récemment – ainsi que le vôtre…

- Il grandit au sein d’une famille « normale » avec une mère et un père qui l’aiment (que ceux-ci vivent ensemble ou non).

- Il entre à l’école où il apprend tous les rudiments de base qui lui permettront de bien s’intégrer dans la société de consommation.

- Lorsqu’il est ado, il tient à se démarquer de ses parents et à se fondre dans un groupe d’autres moutons de son âge. Il se donne ainsi l’impression d’être un rebelle, mais il n’en demeure pas moins un conformiste de la première heure au sein de son nouveau groupe.

- Il complète des études spécialisées en prévision de son intégration définitive dans la société de consommation.

- Il se trouve un job pour gagner sa vie, et tente d’améliorer son sort en grimpant graduellement les échelles de sa hiérarchie avec les années.

- Il se met en couple et fonde une famille.

- Il achète auto, maison, piscine et autres biens de consommation. S’il peut se permettre du luxe, il le fait sans attendre. Il gaspille beaucoup.

- Ce faisant, il suit à peu près toutes les modes.

- Il se permet quelques loisirs. Il s’adonne au moins à un sport : un sport d’équipe ou un sport individuel (pourvu que ce sport individuel soit pratiqué par beaucoup de gens autour de lui pour qu'il ne se sente pas seul). Il adopte et suit assidûment au moins un sport professionnel via les médias.

- Il vote lors de toutes les élections, faisant ainsi son « devoir de citoyen ».

- Il écoute volontiers les politiciens démagogues et les populistes, car il considère qu’ils « s’expriment comme lui » et que ce qu’ils disent a « du bon sens ».

- Il paie ses impôts, ses taxes et ses contraventions et amendes.

- Il passe beaucoup d’heures devant la télévision (feuilletons, films, manchettes, sports, téléréalités, jeux-questionnaires…).

Il lit quelquefois les journaux, histoire de se tenir un peu au courant de ce qui se passe autour de lui (faits divers, résultats des sports, potins, scandales politiques, météo, horoscope…) et pour ne pas avoir l’air trop idiot en société.

- Il critique tous les rebelles, les originaux, les excentriques ; bref tous ceux qui pensent différemment de lui.

- Plus il vieillit, plus profondément il se fond dans le moule du conformisme.

- Il prend finalement sa retraite.

- Il vieillit en étant de plus en plus réfractaire au moindre changement, en devenant de plus en plus capricieux et en devenant de plus en plus craintif face à n’importe quoi.

- Il meurt et on l’oublie.

Ce cheminement typique est le lot d’environ 85 % de tous les moutons lambda que nous sommes. Pour en arriver à ce nombre, je me suis servi de la courbe normale que j’ai obtenue après avoir procédé à un gigantesque sondage.

J’ai tout d’abord circonscrit la population que je voulais sonder, c'est-à-dire, ici, tous les citoyens de tous les pays d’Amérique du Nord et d’Europe. Et la question que j’ai posée à chacun d’entre eux est celle-ci : « Soyez honnête et dites-moi franchement : le parcours décrit plus haut équivaut-il au vôtre ? Répondez en fonction d’une échelle de 1 à 10. Le chiffre 1 correspondant à ‟ pas du tout ” et 10 à ‟ tout à fait ” ».

Voilà qui était clair.

Ça a été long, je l’avoue (j’ai interviewés des millions de personnes), mais je suis parvenu à mes peines. Le résultat final a été celui-ci (voir graphique ci-dessous) :

À noter qu’une de mes principales difficultés a été de bien catégoriser les moutons du milieu. Ceux-ci avaient en effet tendance à se classer eux-mêmes dans la zone « - 1 », plutôt que dans la zone « 1 ». Cela tient au fait que les gens, en général, n’aiment pas être considérés comme de vulgaires conformistes et qu’il est beaucoup plus flatteur pour l’ego de se définir comme un peu « rebelle ». Pour faire la différence entre leur réponse et la réalité, je me suis permis de jeter un coup d’œil sur leur comportement visible dans différentes situations de groupe.

Bon, cela dit, je reviens à mon allégation de départ : 85 % de la population suit à peu près ce cheminement de vie standard du mouton typique. Ce chiffre a été obtenu en additionnant tous les pourcentages de la zone colorée en jaune dans le graphique ci-dessus. Les descriptions de cette zone correspondent toutes, en effet, au cheminement type des moutons au sein de notre société capitaliste telle qu’elle existe aujourd’hui, et telle qu’elle est voulue par tous les grands de cette Terre qui en profitent ($ €) allègrement et qui n’ont pas intérêt à ce que les choses changent. De là l’énorme pression exercée pour que tout le monde entre dans ce moule, volontairement ou non.

Et cette pression, justement est tellement forte que plus les rebelles vieillissent, et plus ils se lassent de combattre ce système, et plus ils finissent par baisser les bras et y adhérer eux-mêmes de plein gré en laissant leurs convictions de côté.

Ainsi, au fil des ans, lorsque les moutons atteignent la fin de la trentaine, je dirais, ou le début de la quarantaine gros max, on peut sans crainte affirmer qu’une importante proportion de ceux qui se trouvent dans la zone verte (- 2) du graphique passent minimalement dans la zone jaune (- 1). Pendant que tous les autres décalent vers la droite par la même occasion.

Décourageant, dites-vous ?

J’approuve…

 
 Crédit vidéo :  Vizioxe

Source du texte :  deltarho.free.fr