Nous sommes tous des moutons

Nous sommes tous des moutons

Message du premier ministre aux moutons de son pays qui s'apprêtent à aller voter

Tous les articles → Messages

 

https://static.blog4ever.com/2019/02/850968/Justin-Trudeau-roi-02.jpg

En cette période extrêmement cruciale de notre « démocratie » – il est fait ici référence, bien sûr, à l’inévitable « campagne électorale » –, voici un important message du chef suprême bien-aimé de la nation canadienne pour inciter son bon petit peuple de moutons à se prévaloir de ce privilège unique qu’est son droit de vote.

 

par Ivanhoé

mis en ligne le 22 septembre 2019

 

Très chers citoyens-électeurs

 

Si je prends aujourd’hui la plume pour vous adresser ces quelques mots, c’est évidemment parce que nous sommes en pleine période électorale, nous, ici, au Canada, et que vous désignerez bientôt votre futur gouvernement. Mais je me permets de vous écrire au nom de tous les leaders de toutes les nations démocratiques de la Terre, qu’elles soient elles aussi en période électorale ou non. De toute façon, comme elles le seront obligatoirement un jour ou l’autre, ce message sera de ce fait toujours de circonstance, peu importe où et quand il sera diffusé.

 

Vous aurez donc sous peu à choisir les gens – les élites éclairées – qui prendront les rênes de votre pays pendant les cinq prochaines années ; c’est-à-dire qui vous contrôleront, qui voteront les lois qui vous encadreront en vous dictant quoi faire, comment le faire, où aller et quand y aller. Et qui mettront les flics et les bureaucrates à vos trousses si vous dérogez à ses directives (mais comme cela correspond étrangement à votre propre désir, c’est pour ça que je me permettrai d’être authentique avec vous).

 

Sera-ce la responsabilité de mon propre parti de vous gouverner ? Ou bien sera-ce celle de l’un de mes adversaires ? Qui vivra verra. Mais cela n’a aucune importance en ce qui vous concerne, vous, chères petites brebis qui déambulez tout en bas de la pyramide hiérarchique sociale avec vos insignifiants tracas de moutons lambda.

 

Peu importe en effet lequel d’entre nous deviendra votre chef, cela reviendra exactement au même pour vous, comme d’habitude. Ne vous inquiétez pas. Si un autre que moi prend le pouvoir, vous ne vous rendrez compte d’absolument rien dans votre quotidien : vous continuerez à vaquer à vos anodines occupations tout à fait comme vous le faites en ce moment. Tout juste si vous serez heureux ou déçu d’avoir « gagné » ou « perdu » vos élections le soir du scrutin. Et si cette émotion vous perturbe un peu sur le coup, vous n’avez simplement qu’à patienter, car elle sera très brève : le lendemain, vous passerez rapidement à autre chose, et on n’en parlera plus pendant cinq longues années.

 

Non, la différence ne fera que nous concerner, nous, les politiciens, vos élites, vos bergers, vos pasteurs. Car il va sans dire qu’une victoire ou une défaite aura des conséquences significatives sur certains aspects majeurs de notre vie de hautes instances. Sur notre ego, tout d’abord, qui est surdimensionné, comme vous vous en doutez sans doute. Ensuite, sur nos privilèges qui sont beaucoup plus considérables lorsque nous sommes à la tête du gouvernement – plutôt que dans l’opposition. Et puis ce résultat se répercutera aussi sur le nombre d’échanges que nous aurons ou non auprès des personnes qui dirigent vraiment notre pays (les banquiers, les financiers, les lobbyistes…). Et évidemment sur la quantité de pots-de-vin qui nous sera octroyée.

 

Mais je suis bon joueur. Je vous avoue tout cela en mentionnant qu’il m’importe moins d’obtenir de nouveau le pouvoir que le fait que vous adhériez encore une fois à cette définition (dénaturée) de la démocratie qui ne tient que dans cette seule et unique formule : démocratie = élections. De cette façon, si je perds le pouvoir le soir des élections, du moins, j’aurai la chance de le reprendre aux prochaines. Ce qui sera un moindre mal que si vous souscriviez à la vraie définition de la démocratie qui est le pouvoir au peuple par le peuple pour le peuple (et heureusement pour nous, ce n’est pas demain la veille que cela se produira).

  

Cela dit, différentes méthodes sont à votre disposition pour choisir votre gouvernement. Je vous en énumère ici quelques-unes pour que vous preniez conscience du privilège que vous avez :

 

Vous pourrez voter pour un parti en fonction de vos valeurs. Peu importe celles-ci, il ne vous suffit que de voter pour le parti qui semble le plus les respecter. En gros, si vous êtes de gauche, par exemple, certains partis sont légèrement de cette tendance et cela devrait vous satisfaire. Pareil si vous avez un léger penchant pour la droite. En fait, c’est-à-dire concrètement, les différences entre la gauche et la droite au sein des grands partis conventionnels sont plutôt minces. Mais celles-ci sont suffisamment véhiculées pour vous donner l’illusion qu’elles existent. Vous aurez ainsi l’impression de voter en tenant compte de vos valeurs, même si dans la pratique, cela ne représente que du vent. Si vous êtes verts, c'est l'embarras du choix : nous avons tous un volet vert dans nos programmes. D’autre part, il y a également des partis qui fraient avec les extrêmes : des marxistes-léninistes machins, des rhinocéros trucs, des nationalistes bidules. Mais comme ils ne sont aucunement dangereux pour nous – et tant s’en faut –, laissez-vous librement aller selon vos convictions. L’important, je le répète, c’est de voter pour que nous, vos élites, nous parvenions au pouvoir.

 

Vous pourrez voter pour un parti par tradition. Si vous votez pour un parti spécifique depuis votre tendre enfance parce que vos parents et grands-parents le faisaient, pas de problème : les gros partis ont tendance à demeurer éternellement une option depuis la nuit des temps. Le nôtre, par exemple, le Parti libéral, pour ne pas le nommer, existe depuis les tous débuts de la Confédération. N’est-ce pas d’ailleurs là la preuve qu’il correspond à quelque chose de fondamental pour notre nation, non ?

 

Vous pourrez voter pour un parti par déception. Si vous aviez voté pour un parti lors des dernières élections et qu’il vous a déçus, libre à vous de croire qu’un autre aurait fait différemment (alors que ce n’est évidemment pas le cas, bien sûr), et votez pour lui, justement. L’important, je le répète, c’est de voter. Comme ça, notre pays ne sombrera jamais dans l’anarchie.

 

Vous pourrez voter pour un parti en fonction de la personnalité de son leader. Ne soyez pas gênés de voter pour un parti uniquement parce que la tête de son chef vous apparait sympathique. La majorité des gens font ça : ils ne connaissent rien du programme d’un leader, mais sa face leur inspire confiance. Rappelez-vous ce qui s’est passé avec le NPD de Jack Layton en 2011. Un raz-de-marée NPD avait déferlé sur le Québec simplement parce que Jack avait fait bonne figure à l’émission Tout le monde en parle. Ça avait été tellement cute ! Bref, c’est un motif comme un autre de voter pour un parti, oui. Nous sommes tout à fait au courant de cette réalité, et c’est pour cette raison que nous soignons tant notre image.

 

Vous pourrez voter pour un parti parce que vous aimez ses promesses. Les promesses électorales existent depuis la nuit des temps, mais personne n’ignore qu’elles ne sont à peu près jamais tenues comme elles sont annoncées. Un exemple récent et flagrant nous concerne d’ailleurs directement, nous les Libéraux : lors des dernières élections, nous avions promis de réformer le système électoral, mais une fois au pouvoir, nous nous sommes empressés de remettre ce projet aux calendes grecques. Bref, même si personne – en théorie – n’y croit, à ces promesses, nous continuons quand même de les déblatérer, car l’expérience démontre qu’en pratique, paradoxalement, vous y prêtez foi encore malgré tout. C’est parfaitement incompréhensible, mais ainsi agissent apparemment les moutons : ils se laissent entuber élection après élection et ne retiennent jamais les leçons. Dans ce cas, nous perpétuons évidemment cette tradition idiote. Pourquoi nous en priver puisqu’elle est toujours si efficace ?

 

Vous pourrez voter pour un parti parce que vous aimez son programme. Si vous êtes plutôt du type intellectuel et que votre affaire c’est d’étudier objectivement nos programmes et de voter en fonction de ceux-ci plutôt qu’en utilisant d’autres critères arbitraires, c’est parfait aussi. De toute façon, lorsque nous parvenons au pouvoir, la réalité fait rapidement en sorte que nous adaptons nos programmes à ceux des lobbyistes et à ceux qui ont généreusement financé notre campagne électorale. En fait, nous nous conformons à cet exercice de rédaction de base juste parce que c’est obligatoire. Ce sont d’ailleurs des experts qui s’en occupent pour nous, et ils s’acquittent de cette tâche avec compétence. Ils les rédigent en effet en englobant une panoplie de belles valeurs (qui n'engagent aucune action vraiment concrète) de façon à ce que la majorité des électeurs puissent y trouver à peu près leur compte. Et si cela satisfait ceux-ci – et les endort – eh bien, tant mieux !

 

Vous pourrez voter pour un parti par stratégie. Vous pouvez en effet voter pour un parti que vous n’aimez pas, mais seulement pour éviter qu’un autre que vous détestez encore plus ait des chances de remporter la victoire. Nous vous félicitons d’être un si fin tacticien politique. Cela prouve que vous vous y connaissez en démocratie !

 

Vous pourrez voter pour un parti que vous jugez comme étant le moins pire de tous. Nous sommes bien conscients que nous ne pouvons contenter tout le monde et que vous pouvez être quelquefois désabusés en considérant que nous nous ressemblons tous, au fond – ce qui, soit dit en passant, est l’exacte vérité. Mais comme il vous faut obligatoirement choisir un chef, car c’est comme ça que ça marche et pas autrement, eh bien, allez-y, oui : votez pour celui qui vous semble le moins pire. On appelle ça : « voter par dépit », et ce n’est pas grave du tout.

 

Vous pourrez voter pour un parti dirigé par un chef populiste. Si cela vous réconforte de croire qu’un chef politique provient du même milieu que vous parce qu'il s'exprime comme un « citoyen de la rue » (ce qui n’est jamais le cas, du coup), alors n’hésitez pas à voter pour lui. En politique, la démagogie est une de nos armes traditionnelles, et certains ont plus de facilité que d’autres à la manier. Personnellement, je ne peux que m'en réjouir, car ils permettent eux aussi de maintenir notre bon vieux système en place. Encore une fois, c’est le principe de voter qui compte.

 

Vous pourrez voter pour un parti parce que vous connaissez personnellement son représentant dans votre comté. Et si vous faites cela, c’est parce que vous êtes convaincus qu’il vous aidera lorsque vous en aurez besoin. Ha ! Ha ! Ha ! Oups, pardon. Heu… Oui, oui : c’est une EXCELLENTE idée. Votez pour lui, oui !

 

Vous pourrez voter pour un parti parce que vous avez contribué généreusement à sa caisse électorale. Ça, mes chers citoyens-électeurs, c’est sans conteste la meilleure raison pour aller voter pour un parti en particulier. Je dirais même plus que c’est probablement l’UNIQUE motif qui ait une réelle valeur étant donné que c’est le seul qui vous donnera des résultats concrets advenant une victoire. Car s’il y a une chose de vraie dans cette conception de la démocratie, c’est le retour d’ascenseur lorsqu’il est question de fric ! Et je ne peux donc que vous encourager dans cette voie. Et si vous êtes de ceux qui auront participé ($$) grassement à notre accession au pouvoir, et que vous nous sollicitez une faveur par la suite, soyez assurés que nous porterons une attention toute particulière à cette demande. Quoi de plus naturel ? Bien sûr puisque nous serons votre débiteur !

 

Voilà. J’arrête ici. Il existe sûrement des prétextes supplémentaires pour vous inciter à vous déplacer le 21 octobre prochain, mais je m’en tiendrai à ceux-ci. C’est déjà beaucoup, non ? Vous n’avez de ce fait aucune raison de vous abstenir de le faire.

 

Et une fois cela accompli, à partir de cette date, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles puisque vous aurez décidé lequel d’entre nous sera votre bon berger pour les quelques années à venir. Et vous aurez de nouveau admis que c’est le seul système qui tienne la route de l’entendement. Quel autre système, en effet, pourrait s’occuper de gérer une nation entière sinon de nommer des élites qui sacrifient leur vie à cette mission ? Poser la question, c'est y répondre.

 

Vous avez tous compris, bien sûr – et sinon, nous sommes là pour vous le rappeler constamment – que nous sommes les uniques gardiens de votre paix et de votre liberté. En tout cas que ce n’est pas vous, en bas, pauvres petites brebis ignares, qui pouvez vous acquitter de cette tâche. Vous n’avez aucune des qualifications requises pour cette responsabilité qui exige des études et des compétences que vous ne possédez pas.

 

Et si j’insiste tant à vous demander de continuer à nous faire confiance et de refuser d’adopter un autre système de démocratie, comme vous le proposent certains intellectuels de la gau-gauche, c’est pour que vous évitiez de la mettre en péril, cette démocratie que nous nous acharnons à défendre pour vous. Car si un tel scénario devait survenir, cela laisserait évidemment la place à tous les mouvements d’extrême droite et à tous les Daech de la Terre qui pourraient en profiter pour envahir notre très noble Parlement.

 

D’ailleurs, vous vous rendez bien compte par vous-mêmes qu’aller voter c’est indispensable. Tour le monde l’affirme haut et fort. Posez la question à n’importe qui de votre famille ou parmi vos amis, et ils vous le confirmeront tous : nous sommes chanceux de vivre dans une démocratie. Et en vous abstenant de voter, vous manquez de respect à tous ces peuples qui se battent et meurent pour obtenir ce droit que nous avons, nous, ici, et gratuitement. Honte à vous !

 

Et une autre preuve que c’est fondamental, c’est toute l’énergie que déploient les médias – nos chers collaborateurs de toujours – à couvrir cette période cruciale dans laquelle nous nous trouvons en ce moment même : ils nous suivent comme des petits chiens dans tous nos déplacements, ils transcrivent tous nos petits discours de circonstance en les commentant de petites analyses savantes qui paraissent très songées. Et ils réservent en plus une proportion très appréciable de leurs programmations à cette campagne, comme d’habitude. D’autre part, est-ce qu’ils laissent un temps d’antenne à ceux qui contestent ce système ? Nan ! Aucun. Zéro minute. Le néant. Alors, vous voyez bien ? Si les fauteurs de troubles étaient si importants, ils leur laisserait la possibilité de s'exprimer. Mais ils ne le font pas.

 

Cela dit, évitez de risquer que nous sombrions dans le chaos, et faites ce que vous faites d’habitude : présentez-vous aux urnes le 21 octobre prochain. L’un de nous sera alors élu avec environ 30 % des voix – ce qui constituera une majorité –, et nous nous occuperons de nos intérêts comme avant… Heu… pardon… Nous nous occuperons de VOS intérêts, bien sûr. Comme nous l’avons toujours fait.

 

Et vous pourrez continuer à brouter paisiblement l’herbe de votre petit enclos pendant les cinq prochaines années. Nous y veillerons.

 

Merci d’avoir pris le temps de me lire.

 

Votre tout dévoué premier ministre actuel

 

 



22/09/2019
8 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser