Nous sommes tous des moutons

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Avez-vous déjà calculé le nombre de règlements auxquels vous êtes soumis tous les jours ? Ne le faites pas : vous ne viendrez jamais à bout de ce décompte. Nous sommes convaincus de vivre librement, mais cette fausse impression vient du fait que nous sommes formatés pour y croire. En réalité, nous vivons dans une prison. Elle est certes dorée. Mais une prison reste une prison, et ce, peu importe la couleur de ses murs et de ses barreaux.

par Ivanhoé

mis en ligne le 30 août 2019

Nous sommes régis par un nombre incalculable de procédures imposées, d’articles de lois, de règlements, d’injonctions, et d’obligations à faire ceci et cela. Si vous vous arrêtiez à en faire la somme, vous dépasseriez facilement les dizaines de milliers. En fait, vous n’en viendriez tout simplement pas à bout tellement ils s’étalent à l’infini.

Les procédures, les lois et les règlements contraignent notre liberté de mille et une manières possibles. Ils contrôlent en fait TOUS les aspects de notre existence. Et quand je dis TOUS les aspects, je veux dire TOUS les aspects.

Quel que soit le secteur de votre vie personnelle auquel vous pourriez penser, dites-vous que vous ne serez jamais autorisé à le manifester selon votre seule volonté : il se présentera toujours (minimalement) une procédure, une loi ou un règlement quelque part, qui vous dictera la façon de le faire et/ou qui vous précisera les limites à ne pas franchir. Et surtout, il y aura toujours un policier macoute ou un bureaucrate qui ne manquera pas de vous ramener à l’ordre si vous prenez une initiative qui n’est pas prévue dans un manuel ou dans un guide quelconque.

J’ai déjà parlé du code de la route dans un article précédent (Les contraventions pour « mauvaise conduite »).

Je ne reviendrai pas sur le scandale que j’y dénonçais. Je veux simplement le prendre comme un exemple typique de la prison dans laquelle nous sommes enfermés.

1) Le fait de conduire un véhicule vous oblige en effet :

- à payer annuellement un certain montant d’argent juste pour obtenir le droit de le posséder (immatriculations) ;

- à payer annuellement un certain montant d’argent pour obtenir la permission de le conduire ;

- à payer annuellement un certain montant d’argent pour l’assurer en cas d’accident ;

- à boucler votre ceinture avant même que vous mettiez le pied sur la pédale d’accélération ; et non seulement vous, mais aussi tous les passagers, et surtout les bébés qui doivent, eux, respecter, un autre ensemble de normes très strictes ;

- à vous conformer à un nombre incalculable de règlements pendant que vous vous rendez d’un point A à un point B ;

- à payer très souvent un certain montant d’argent pour avoir le droit de le garer quelque part chaque fois que vous le quittez ;

- à payer des frais supplémentaires pour obtenir les permis nécessaires si vous l’utilisez à d’autres fins que de vous conduire, vous, d’un point A à un point B

2) Le fait de ne pas vous conformer à l’un de ces milliers de règlements vous obligera à payer une amende ou une contravention ; quelquefois à perdre des « points d’inaptitude » ; et quelquefois aussi à vous voir carrément confisquer l’autorisation de vous déplacer par ce moyen de transport.

Pour prendre conscience de la démesure de toutes ces lois et de tous ces règlements qui régissent cette « liberté » que vous avez de conduire un véhicule automobile, allez jeter un coup d’œil sur cette page de la SAAQ (Société de l’Assurance Automobile du Québec) :

Je vous laisse un an pour apprendre par cœur tout ce fatras de règlements avant de passer un examen. Si vous l’échouez, vous paierez une amende. Je blague à peine : étant donné que « l’ignorance de la loi n’est pas une excuse » (une belle connerie, ça, au fait, non ?), eh bien, si vous contrevenez à l’un de ces millions de règlements (même par ignorance), vous en paierez justement une – une amende. Et bonne chance si vous partez au front pour en contester la validité.

Et ceci n’est qu’UN SEUL aspect de votre existence : celui de conduire une automobile.

Des lois et des règlements, je répète qu’il y en a dans tous les secteurs de votre vie.

Vous désirez un animal de compagnie, par exemple ? N’allez surtout pas vous imaginer que vous pouvez donner suite à un tel projet, comme ça, du jour au lendemain, tout à fait librement. Que nenni ! Avant l’arrivée de votre Fido dans votre prison… heu, pardon : dans votre maison… il existe une procédure à laquelle vous conformer, bien sûr : un permis à obtenir, des tarifs à vous acquitter et des règlements à prendre connaissance.

Vous vous apprêtez à faire quelques bricoles autour de chez vous ? Des petites réno ? Holà ! Minute, papillon ! Mais qu’est-ce qui vous prend ? Avant de vous y mettre, renseignez-vous sur les procédures à suivre, les permis à obtenir, les tarifs à vous acquitter et les règlements à respecter… Sinon, les bureaucrates vous attendront dans le détour avec une amende salée ; si ce n’est carrément avec une poursuite judiciaire en bonne et due forme qu’ils vous feront parvenir par l’entremise d’un huissier.

Vous voulez inviter des amis chez vous et faire une petite nouba ? N’oubliez pas les règlements de votre municipalité auxquels vous devrez vous soumettre avant d’organiser ce genre de fête…

Vous voulez vous balader à bicyclette en passant par les rues de la ville et les pistes cyclables ? Êtes-vous au fait de tous les règlements qui encadrent cette activité ? Non ? Dans ce cas, gare à vous !

Vous préférez la marche ? Pas de soucis, pourvu que n’ignoriez pas que des règlements s’appliquent aux piétons lorsqu’ils font une petite promenade de santé dans les rues de la ville.

Vous voulez avoir un enfant avec votre tendre moitié ? Ha ! Ça, ce n’est évidemment pas de mes affaires, mais vous avez intérêt à vous informer avant de faire l’amour dans ce but. Car des lois et des règlements concernant votre éventuel bout d’chou, ce n’est pas ça qui manque !

Vous voulez manifester dans les rues pour une cause qui vous tient à cœur ? Pas de problèmes, mais vous devrez le faire en bonne et due forme, c’est-à-dire en respectant toute la procédure préalable et en promettant aux autorités que vous serez sages, qu’il n’y aura aucun incident perturbateur et que vous rentrerez chez vous tout de suite après dans la paix et dans l’ordre.

J’arrête ici, mais je pourrais en remplir des pages et des pages.

Des procédures obligatoires, des lois, des règlements et des directives, nous en sommes inondés. Il y a ceux du gouvernement fédéral, ceux du gouvernement provincial, tous ceux des municipalités (qui, en passant, sont différents d’une ville à l’autre), et ceux de toutes les organisations dont nous faisons partie. Il y en a tellement que des études universitaires poussées sont nécessaires pour s’y retrouver.

Toutes ces procédures, toutes ces lois, tous ces règlements et toutes ces directives sont les murs et les barreaux de notre cachot. Ils nous encerclent de partout. Ce sont les parois du dôme à l’intérieur duquel nous pouvons certes déambuler en nous sentant « libres », mais dans lequel nous sommes néanmoins bel et bien enfermés comme des poissons dans un bocal.

Si vous passez la limite de cette cloche de verre, vous devenez de facto un hors-la-loi, et les chiens de garde (policiers et fonctionnaires- bureaucrates) de vos multiples paliers de gouvernements mettront tout en œuvre pour vous ramener au milieu de votre troupeau, et en vous punissant pour votre faute, par surcroit – notamment par des mises en accusation ou par des amendes.

On nous rebat les oreilles depuis des lustres sur le fait que nous vivons – nous, les « démocraties » occidentales – dans des pays libres. Et pour nous le prouver, on ne manque jamais de nous comparer aux nations véritablement autoritaires, en nous rappelant que nous devrions nous prosterner bien bas pour ce privilège que nous avons de marcher sur la rue sans crainte d’être arrêtés sans raisons, de subir des interrogatoires, d’être torturés et d’être fusillées sans sommation. Vu comme ça, c’est bien sûr, oui, que nous pouvons nous considérer chanceux : me’ci pat’ron de ne pas me fouetter comme dans ces pays de ba’ba’es…

Pour ma part, j’en ai marre que l’on me serve cette sempiternelle réplique destinée à nous rendre coupables et à nous obliger à remercier nos geôliers personnels qui sont beaucoup plus gentils, en somme, que ceux de ces affreux pays. C’est exactement la même réplique que celle que l’on nous sert lorsqu’arrive le temps de voter : « Compte-toi chanceux, espèce d’ingrat, d’avoir la chance d’aller voter. Bien des pays ne peuvent pas le faire, eux ! » C’est exactement la même réplique, aussi, que celle que m’a servie un jour un policier lorsqu’il m’a arrêté : « Je pourrais vous dresser deux contraventions parce que vous avez commis deux infractions, mais comme je suis un bon flic, je ne vous en donne qu’une seule. » J’étais tellement content que je lui ai dit merci ! Plus soumis et formaté que ça, tu sors de la voiture et tu lui lèches les bottes !

Le problème avec les pays « démocratiques » que sont les nôtres (du moins, pour ceux, évidemment, qui considèrent cela comme un problème), c’est que nous vivons dans un confort relatif et dans une (petite) liberté relative, et que nous nous contentons parfaitement de ce sort. Nous sommes comme un immense troupeau de moutons qui broutent dans un champ clôturé électrifié. Tant qu’il y a assez d’herbe à brouter et tant qu’il y a suffisamment d’espace pour circuler et même pour courir de temps en temps, les moutons sont heureux et ne pensent à rien d’autres qu’à manger, qu’à s’amuser et qu’à se prélasser au soleil.

En contrepartie, ils acceptent de bon gré d’avoir un berger qui s’occupe d’eux, et ce, même si celui-ci les malmène de temps à autre ; ils acceptent également volontiers d’être clôturés ; et ils trouvent normal que des chiens les mordent au mollet dès qu’ils s’approchent trop près de cette clôture.

Dans ces conditions, effectivement, les deux partis en cause sont heureux :

Tout d’abord, nous, les citoyens, les moutons, sommes heureux parce que nous avons l’illusion d’être libres – même si, au fond, nous savons que ce n’est qu’un pitoyable leurre. Nous bénéficions de notre petit confort et nos petits loisirs (« Donnez-leur du pain et des jeux », dit la formule consacrée, « et vous aurez la paix dans l’empire. »), et cela seul suffit. Le reste du monde peut crever de faim, la planète peut s’en aller à vau-l’eau, qu’est-ce que nous en avons à foutre, nous, ici ? Et qu’est-ce que ça peut bien foutre, aussi, que nos dirigeants nous tondent comme bon leur semble ? De la laine, ça repousse, non ?

Ensuite, les dirigeants et les puissants sont encore plus heureux que nous, car notre pathétique inertie leur permet de régner sur nous en paix, sans coup férir, et elle leur permet également de nous tondre de toutes les façons possibles sans craindre d’être mordus

Bref, pour terminer, mentionnons deux choses essentielles à propos de tout ce fatras de lois, de règlements, de procédures, de directives et de notes de service auxquels nous soumettent nos chers dirigeants :

1) Ils permettent à ceux-ci de nous contrôler avec une très grande efficacité. Ce qui est quand même étonnant pour un peuple qui affirme vivre dans un « pays libre ». Mais pas si étonnant que ça en tenant compte de la propagande qui nous est servie quotidiennement par ces mêmes gouvernements via les médias à leur solde : nous sommes formatés à accepter ce paradoxe dès la naissance (voir la vidéo à la fin de cet article).

2) Ils permettent à ceux-ci de nous escroquer financièrement de toutes les façons possibles en toute légalité : par le biais de frais de toutes sortes pour l’obtention de permis de toutes sortes ; et par le biais de contraventions et d’amendes lorsque nous dérogeons un tant soit peu à une seule de ces millions de règles – même involontairement (n’oublions pas, toujours, que « l’ignorance de la loi n’est pas une excuse »).

Et le pire, c’est que c’est nous-mêmes qui avons voulu cela, et qui le voulons toujours.

C’est nous-mêmes, en effet, qui choisissons ce mode de gouvernement qui consiste, toutes les quatre ou cinq années, à nommer des chefs qui prendront des décisions à notre place pour la « bonne marche » de notre vie en commun. C’est ce qui s’appelle l’aristocratie à légitimité populaire (voir l’article que j’ai écrit sur ce sujet).

Cessons de nous leurrer : une fois bien installés au pouvoir, le seul mandat de ces gens, c’est d’augmenter encore davantage le nombre de lois et de règlements qui leur permettent de nous contrôler et de nous escroquer sans que nous n’ayons rien à en redire. Et pourquoi s’en priveraient-ils ? Nous leur donnons justement la permission de le faire…

Nous aimons vivre dans une prison, oui. C’est la seule explication possible à notre comportement…

Alors, d’accord : restons-y dans cette prison. Mais assumons-nous, et cessons de nous plaindre lorsque nous sommes mordus par les gardes-chiourmes qui en garantissent la sécurité.

Quand je disais que nous étions formatés, programmés, pour vivre dans une prison (même si elle est dorée), eh bien, c’est parce que l’on nous inculque cette idée dès la prime jeunesse. À remarquer, par exemple, le ton autoritaire et sans appel avec lequel cette vidéo s’adresse à des enfants.